Janua vera, de Jean-Philippe Jaworski

Publié le 26 Mars 2014

Janua vera, de Jean-Philippe Jaworski

Résumé

Né du rêve d'un conquérant, le Vieux Royaume n'est plus que le souvenir de sa grandeur passée. Une poussière de fiefs, de bourgs et de cités a fleuri parmi ses ruines, une société féodale et chamarrée où des héros nobles ou humbles, brutaux ou érudits, se dressent contre leur destin. Ainsi Benvenuto l'assassin trempe dans un complot dont il risque d'être la première victime, AEdan le chevalier défend l'honneur des dames, Cecht le guerrier affronte ses fantômes au milieu des tueries. Ils plongent dans les intrigues, les cultes et les guerres du Vieux Royaume. Et dans ses mystères, dont les clefs se nichent au plus profond du coeur humain.

Ce qui m'a attirée vers cette lecture...

Mis au programme du Baby challenge Fantasy 2014 chez Livraddict, ce livre m'a d'emblée parlé. Le fait que ce soit un recueil de nouvelles n'y est pas étranger, de même que la couverture de l'édition Folio SF, qui finalement reflète si bien le contenu de l'ouvrage.

La première phrase...

Le voici brutalement dressé, haletant, les yeux écarquillés sur la pénombre des appartements royaux.

Un trésor de recueil...

C'est incroyable comme certains auteurs ont le chic pour happer le lecteur d'entrée de jeu, de le faire prisonnier de l'histoire jusqu'au moment où l'aventure prend fin. Jean-Philippe Jaworski est de ces auteurs-là.

De part une stylistique raffinée, un sens aigu du rythme et un talent fou pour les intrigues qui tiennent en haleine, Jaworski nous offre une plongée vertigineuse au cœur des Vieux Royaumes, son univers. Ce ne sera pas une plongée agréable, il faut le dire. La beauté des mots et des métaphores fait tourner la tête, certes, mais c'est un univers dur et sombre que l'on découvre. Un monde fait de rouille et d'os, de sang et de mort, de trahisons, de promesses déçues, de pleurs et de larmes, un monde où l'air est saturé de l'odeur de la chair mise à nu, où retentissent le fracas des armures et des glaives. On en ressort grisé, mais quelque part un peu sali. Jaworski cherche le réalisme, et son objectif est pleinement atteint. Tout est si réel qu'on se croirait presque revenu 800 ans en arrière, au temps des châteaux forts et des chevaliers. Non, non, pas le Moyen âge décrit dans de si nombreux romans, ce Moyen âge idéalisé dont rêvent les enfants et dont l'image est véhiculée par ces fêtes médiévales trop légères pour être représentatives de l'époque. Jaworski nous parle du Moyen âge tel qu'il a réellement dû être. Par ces récits, l'on comprend pour quoi cette période a été surnommée "L'âge sombre".

Autre trait qui mérite d'être souligné, c'est que chaque nouvelle apporte quelque chose de différent au lecteur, chacune montre une facette nouvelle des Vieux Royaumes. Que l'on soit plongé au coeur de l'ancien royaume de Léomance, proche de notre Grèce antique, en Ciudalia, contrée proche de l'Italie que l'on connait tous, où à Bourg-Preux, chaque nouvelle apporte sa pierre à l'édifice de l'univers de Jaworski.

Je vous propose donc un petit aperçu de chaque nouvelle, juste quelques petites perles du grand trésor de guerre...

Janua vera...

"Un spasme de panique absolue. Les yeux exhorbités, il réalise qu'il ne dort pas. Son coeur cogne sa poitrine à tout rompre, il a du mal à trouver son souffle, tout son être se dilate d'horreur. Son corps baigne dans une sueur aigre, qui sent la fièvre, la déchéance, des remugles de morbidité et d'angoisse. Réfugiée dans un coin obscur de l'appartement royal, la favorite sanglote et tremble. Une pluie diluvienne fouette les vitraux et leurs croisillons de plomb : des milliers de doigts d'os, qui tambourinent avec une obstination rageuse les coloris éteints par la nuit."

Mauvaise donne...

"L'endroit n'est pas sans poésie, pour qui a le coeur bien accroché. Certes, tout cela sent la poussière, la moisissure, la pierre pourrie, la charogne sèche. Des profanateurs sont passés par là, et l'on trébuche souvent dans les débris d'un sarcophage brisé, dans des fagots d'ossements. En d'autres zones, l'air sec ou la richesse en poison de la roche ont momifié des corps. Au détour d'une niche ou d'une arche basse, la lueur fantasque de la bougie vous épie révèle soudain une chevelure roussie, un écorché de cuir, le sourire railleur d'un masque parcheminé, qui vous épie entre ses paupières mi-closes. Cette compagnie est plutôt sinistre, mais les catacombes n'exsudent pas l'atmosphère effroyable des sanctuaires du Desséché."

Le service des dames...

"A côté du chevalier, la dame de Bregor se tenait raide comme une statue. Le vent rebroussait parfois le poil soyeux de son hermine, jouait avec quelques cheveux follets échappés à son peigne ; mais la baronne conservait une rigidité de sentinelle, l'oeil fixé sur les lointains, aiguisé comme celui d'un rapace. Il y eut un moment sans parole, tout entier empli par la rumeur complexe du monde : le sifflement des tourbillons dans la charpente, la picorée d'une pluie lourde sur les lauzes, le grincement criard des girouettes, le murmure des forêts ébrouées. Ce fut un moment où le chevalier et la dame semblèrent soudain proches. Ils n'eurent pas un geste, peut-être pas même une pensée l'un pour l'autre ; mais leurs visages durs, tournés vers l'âpreté de ce paysage trop vaste, parurent soudain nus et semblables."

Une offrande très précieuse...

"Il boitilla jusqu'au cheval mort et arracha le scramasax. Il l'essuya rapidement, le rangea dans son fourreau, puis, après un coup d'oeil circulaire pour s'assurer que personne d'autre ne le menaçait, il claudiqua vers les bois les plus épais. Il s'enfonça sous les frondaisons lourdes, somnolentes, figées dans un crépuscule perpétuel, là où même la pluie ne se faufilait qu'en gouttes éparses. Le chant brutal du fer, des cris de ralliement et des hurlements d'agonie devint fantomatique, échos de guerre dans une forêt assoupie. Mais tout danger ne semblait pas écarté ; Cecht devina une silhouette furtive qui se glissait entre les troncs noirâtres, à une portée de javelot devant lui. Il ne voyait pas très bien l'intrus, il affermit sa hache dans son poing, prêt à balayer l'obstacle."

Le conte de Suzelle...

"Elle ne perdit guère de temps à remâcher sa colère ; alors qu'elle tordait sa robe pour en essorer l'eau, elle aperçut un gros taillis de mûriers. Elle en oublia de se sécher, et fila se gaver de mûres. Les joues poisseuses d'un jus rose, elle retourna au soleil, dans un pré, pour se réchauffer. Elle cueillit des fleurs des champs, s'en fit une couronne, puis s'en alla baguenauder dans les bois. Elle connaissait tous les coins à champignons de Giraucé, et partait souvent en quête de cercles de fées quand il avait plu. Mais ce jour-là, l'après-midi était chaud et ensoleillé, et sa quête se révéla infructueuse. Elle visita le chêne creux de Chenançay, chassa l'écrevisse dans un ruisseau frais comme une bise d'hiver, rôda dans une clairière où, parfois, au crépuscule, venait jouer un couple de renards."

Jour de guigne...

"En chemin, une poisse opiniâtre s'acharna sur lui. Bien qu'il ait pris le soin de raser les murs sous les encorbellements, la tête entre les épaules et l'échine basse, un seau d'ordures et d'eaux usées déversé d'un troisième étage vint le gifler de plein fouet. Dans la Rue-Qui-Grimpe, son justaucorps imprégné d'un parfum entêtant (fleur de graillon relevée par une pointe de pissou nocturne, avec garniture de vieilles épluchures) vint chatouiller le flair d'une bande de chiens errants, qui témoignèrent de leur curiosité de façon fort importune."

Un amour dévorant...

"C'est dans le clair-obscur que le drame se noue : car les deux ombres qui courent dans le bois ne se manifestent pas n'importe comment. Elles peuvent crier de jour comme de nuit, mais c'est toujours dans une atmosphère crépusculaire et incertaine, un entre-deux aqueux qui plonge le paysage dans une somnolence brouillée. Les jours de grand soleil, les nuits bien noires sont sans danger. Mais que la brume se lève, que la grisaille d'hiver éteigne le jour, qu'une lune blonde épande sa luminosité fantôme dans la forêt nocturne : alors, collines et coteaux se peuplent de longs appels rageurs ou implorants, dont les échos s'étirent dans les halliers et les sous-bois."

Le confident...

"Je suis allongé sur une table de pierre, comme un gisant sur un tombeau. Cette couche dure est située au centre d'une pièce voûtée, longue de douze pas et large de quatre. A chaque extrémité, une porte basse donne sur un corridor qui communique avec le reste du complexe. Je n'ai jamais vu l'endroit où je réside, car la lumière n'a pas pénétré en ces lieux de mon vivant ni du vivant de mes prédécesseurs ; mais, dans les premiers temps de ma réclusion, je me levais encore, et je parcourais mon domaine à tâtons. Sous mes doigts, je sentais les aspérités granuleuses de la pierre, les vides réguliers des alcôves creusées dans les murs ; et parfois, ma main rencontrait la sécheresse dépouillée des ossements."

Janua vera, de Jean-Philippe Jaworski

En résumé...

Les petits plus...

  • Stylistique et vocabulaire raffinés
  • Rythme très soutenu des récits
  • Des nouvelles qui captivent le lecteur du premier mot au dernier

Les petits moins...

  • Je ne trouve pas grand chose à redire, en réalité...
Ma note : 9,5/10 TROISIÈME COUP DE CŒUR 2014!!!
Lu dans le cadre du Baby challenge fantasy 2014 organisé par Livraddict

Lu dans le cadre du Baby challenge fantasy 2014 organisé par Livraddict

Lu aussi dans le cadre du challenge ABC 2014 des littératures de l'imaginaire, lettre J.

Lu aussi dans le cadre du challenge ABC 2014 des littératures de l'imaginaire, lettre J.

Commenter cet article