[Chronique Fantasy] L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

Publié le 15 Janvier 2017

De cette lecture, je retiendrai donc surtout l'écriture fabuleuse de Manon Fargetton, alternant fluidité, rythme et poésie. Je retiens également les personnages, travaillés tout en finesse, et dont la psychologie complexe laisse pantois. L'intrigue remarquablement ficelée, ainsi que deux univers imbriqués l'un dans l'autre d'une façon remarquablement inventive et ingénieuse, constituent un troisième point qui me fait dire que ce roman vaut amplement son prix Imaginales 2016, et tous les éloges que j'ai entendu à son sujet jusqu'à présent.

Synopsis...

La dernière héritière d'une lignée royale doit fuir notre monde et retourner dans celui de ses ancêtres pour échapper aux hommes qui veulent l'éliminer. Là-bas, une princesse rebelle rentre chez elle pour prendre ce qui lui est dû : le trône d'Ombre. Voici l'histoire de deux femmes, de deux mondes imbriqués, de deux retours simultanés qui bouleverseront une fois de plus le destin tortueux du royaume d'Ombre. Coïncidence, ou rencontre orchestrée de longue date ?

[Chronique Fantasy] L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

La loi d'attraction universelle...

Ce roman est mon second roman lu dans le cadre de mon partenariat avec les éditions Bragelonne/Milady pour novembre 2016. Je remercie donc très chaleureusement les éditions Milady pour ce partenariat et la découverte de ce livre.

Depuis quelques temps déjà, je souhaitais découvrir l'écriture de Manon Fargetton, dont j'avais entendu beaucoup de bien. Voyant cette édition au format poche de L'héritage des rois-passeurs au catalogue des éditions Milady, je n'ai pas pu résister, d'autant plus que la "suite", Les illusions de Sav-Loar, était prévu pour le mois suivant en grand format. Je me suis lâchée et ai commandé les deux tomes, mon petit coeur de lectrice tout palpitant d'espoir, attendant avec délectation un moment de lecture inoubliable. Fut-ce le cas? Ahah... C'est ce que vous découvrirez à la fin de cette chronique!

Photo prise pour le #neverlandpbc de décembre 2016 sur Instagram... Le thème était "Lire au chaud".

Photo prise pour le #neverlandpbc de décembre 2016 sur Instagram... Le thème était "Lire au chaud".

Fluidité, rythme et saccades...

Ce qui m'a d'emblée séduite, c'est le style d'écriture de Manon Fargetton. Il n'y a rien à faire, mais on sent que c'est une femme qui est aux commandes de ce roman. La finesse de la plume ne trompe pas. Loin de moi l'idée de trouver les hommes trop balourds (encore que, pour certains...), mais j'ai senti dans ce roman assez bien de touches féminines, notamment dans la richesse des métaphores, la profondeur et la finesse des sentiments ressentis par les personnages, le fait que les personnages centraux soient deux femmes toutes deux dotées d'un caractère bien trempé... plus d'autres choses sur lesquelles j'ai bien du mal à mettre des mots.

La récit est à la fois fluide de part l'écriture très agréable, qui se laisse lire comme un bon cocktail se laisserait boire, et à la fois rythmé, car il est sans cesse ponctué de moments de suspens, de découvertes, de révélations. Je n'ai pratiquement pas décelé de longueurs dans cette intrigue menée tambour battant, dans laquelle on entre comme un ouragan et de laquelle on sort inévitablement décoiffé.

On pourrait même dire que l'écriture se fait parfois saccadée. En effet, la plume de Manon Fargetton possède une particularité que j'ai rarement rencontré dans mes autres lectures. Certaines actions, censées se dérouler très vite, sont mises en avant par un style très particulier. Les phrases se font soudain très courtes, ne possédant aucun sujet, laissant juste paraître un verbe conjugué, avec un supplément ou l'autre si besoin est. L'exemple ci-dessous sera sans doute plus parlant que ma description bancale :

Énora hurla.
Axel lui parlait à l'oreille, l'entraînant à l'abri des troncs. Elle n'entendait pas. Elle voulut crier, courir vers ses amis. Les défendre. Ne savait pas comment. S'en fichait. Devait les rejoindre.

L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

J'ai apprécié ce style propre à l'auteur, car il confère au récit un sentiment d'urgence qui donne au lecteur l'envie de lire plus vite encore. On sent que quelque chose est sur le point de se produire, et on a envie de savoir de quoi il retourne au plus vite. Seul petit hic, c'est qu'il ne faut point trop abuser de ce type de rhétorique. À certains moments, j'étais pratiquement à la limite de l'overdose, et je trouvais que cela faisait perdre aux phrases un peu de leur lisibilité.

Fine psychologie...

J'ai été très étonnée par les différents personnages qui peuplent ce récit. Bluffée, je dirais même. Comme je le disais précédemment, les deux femmes, Énora et Ravenn, sont juste extraordinaires. J'ai aimé la complexité avec laquelle ces personnages sont construits, que ce soit leur histoire personnelle ou leur psychologie. Chacune de leurs réactions sonnent juste, ce qui n'est pas aussi évident à faire qu'on voudrait le croire. Les sentiments forts, tels que le deuil, la peur, le choc émotionnel, le traumatisme, sont décrits avec une justesse à couper le souffle.

Les personnages masculins sont aussi bien construits, mais je les ai senti plus en retrait, et ils m'ont semblé moins intéressants, peut-être plus fades (de mon seul point de vue, bien sûr). J'ai le sentiment qu'ils surmontent un peu trop vite les épreuves qui leurs sont réservées, et qu'ils apprennent trop vite, également, leurs nouvelles facultés. D'autres sont trop peu présents alors que je les trouvais intéressants. J'aurais, par exemple, voulu en savoir plus au sujet de Pelekaï. Ceci étant, celui que j'ai préféré, c'était Lyam. Je l'ai trouvé attachant, à sa manière.

J'ai été juste très triste, à la fin du roman, car la finale réservée à... un certain personnage... (haha! Vous aviez cru que j'allais lâcher le morceau, hein?) ne nous permettra pas d'en connaître plus sur son compte, alors que j'aurais tellement voulu voir la suite de ses aventures!

En parvenant près des tombes recouvertes de lierre, elle baissa les yeux. Des dizaines d'étoiles rémanentes dansaient sur ses rétines. Elle devina une pelle métallique au manche vermoulu sous la haie de noisetiers. La saisit. Quelque chose monta en elle, une vague de détresse qui la précipita à la frontière de la folie. Sa respiration s'accéléra, un tremblement irrésistible parcourut ses mains. Soudain, elle se laissa tomber à genoux et se mit à creuser entre les stèles anonymes. Pelletée après pelletée, le fil rouillé de l'outil arracha l'herbe pour dégager la terre. Toute l'énergie d'Énora était concentrée sur cette tâche. Elle devait creuser encore, plus loin, plus profond. Là, au bout de ce jardin qui avait un jour représenté les limites de son univers, naissait la tombe de son père, de sa mère. De son frère. Ou la sienne, peut-être ; une fosse où s'enterrer tout entière pour ne plus savoir, ne plus sentir ce trou béant au creux de sa poitrine, ce hurlement sans fin enroulé dans son ventre et qui ne trouvait pas de sortie.

L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

Le choc initial...

Je vous parlais d'une cataclysmique entrée en matière... Je ne vais évidemment pas vous dire de quoi il retourne exactement, ce serait vous gâcher bêtement le plaisir de la découverte! Sachez que le prologue donne déjà le ton, qu'il y est question de dragons et d'une Ravenn vue sous un angle de guerrière tribale. Quant aux premiers chapitres, on y découvre le personnage d'Énora, qui voit son monde basculer dans un bain de sang digne d'un film gore trois étoiles. S'ensuit une course-poursuite effrénée, puis de nombreuses découvertes aussi percutantes qu'ahurissantes. Bref... je vous promets une bonne dose d'adrénaline et un suspens de tous les diables. Et ce n'est que le début...

Quelque chose roula sur le sol. Dans l'horreur et la panique du moment, Énora mit plusieurs secondes à comprendre qu'il s'agissait d'une tête. Détachée d'un corps. Elle sentit son estomac se contracter violemment. Dans le jardin, le chaos franchit un nouvel échelon. Cris hystériques, giclées de sang, cadavres entremêlés sur la pelouse. Les bras d'Axel se firent fer autour du ventre d'Énora. Il la traîna tant bien que mal, la plaqua au sol derrière une tombe. La jeune fille n'était plus que rage et sidération, bouillonnements tourbillonnants, elle ne voyait plus ses amis ni sa famille. Juste des poupées de chiffon éventrées. Tout cela n'avait pas de sens. Ne pouvait en avoir. C'était une scène de film, une mise à mort chorégraphiée au millimètre par un cinéaste virtuose.

L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

Deux univers imbriqués l'un dans l'autre...

Une chose que je peux toutefois vous dire sans trop vous spoiler, c'est qu'au début du roman, deux univers cohabitent. On commence par découvrir Ombre par le biais des aventures de Ravenn, puis on revient à notre monde pour suivre les pas d'Énora. C'est ce qui fait en grande partie l'originalité de ce récit. Nous sommes bien dans un roman de fantasy, mais il y est tout de même question de notre monde. J'ai apprécié la façon dont l'auteure fait cohabiter "réalité" et fiction. Oui, je dis "réalité", car l'univers tel que nous le connaissons est émaillé, dans le roman, d'éléments fantastiques, dont certains nécessaires au passage entre les deux mondes.

Elle tenta de se retenir, mais le sol venait littéralement de disparaître sur un large cercle, si bien que ses mains ne trouvèrent aucune prise. Énora battit des pieds, paniquée. Impossible de bouger. Elle était suspendue dans le vide, la moitié inférieure de son corps dans le jardin, le reste... ailleurs. L'adrénaline fusant dans ses veines, elle leva les yeux vers un ciel étoilé. Dans la grisaille ouatée précédant l'aube, elle aperçut au loin une étrange ville fortifiée. Mais avant qu'elle puisse se poser la moindre question sur ce qui venait de se passer, Énora sentit qu'on l'attrapait par les chevilles. Elle réintégra brutalement le fond du jardin.

L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

Je ne peux rien vous expliquer de façon plus précise. J'ai pris tellement de plaisir à découvrir ces deux univers, la façon dont ils fonctionnent et la façon dont ils sont liés l'un à l'autre, que ce serait un crime de trop vous en dire. Je préfère vous mettre juste l'eau à la bouche, et vous laisser découvrir par vous-même, en espérant que vous ressentirez le même émerveillement que moi.

Un (petit) indice est tout de même donné en début de roman, avec cette citation de Louis Aragon...

"Ombre mon royaume
J'y retrouverais
Les anciens arômes
Et les noirs portraits"

Louis Aragon, cité au début du roman

Deux demoiselles qui ne se laissent pas marcher sur les pieds...

J'aimerais tout de même vous dire quelques mots supplémentaires concernant les deux héroïnes. Je vous disais en début de chronique que je les avais vraiment beaucoup aimées, mais ce serait peut-être bien que je vous explique brièvement pourquoi...

Énora...

Énora est une jeune bretonne de 20 ans qui habite à Paris pour ses études. C'est une jeune fille dynamique, un peu rebelle (je l'imagine bien, en tout cas, sur sa moto, avec un petit look rock qui en jette). Elle sait ce qu'elle veut, et ne se laisse pas facilement démonter par l'adversité. J'ai aimé sa façon de réagir face aux épreuves du début de roman. Là où d'autres se seraient écroulés sous le chagrin, elle prend les choses en main malgré le vide insondable qui lui plombe le coeur, et va de l'avant.

 

Ravenn...

Ravenn, dans un sens, est assez semblable à Énora. Elles ont en commun le côté dynamique et rebelle, le caractère franc et bien trempé. Mais Ravenn est plus guerrière encore, sans pour autant manquer de féminité. Elle est intelligente, aussi, et assez perspicace pour être à même de déjouer les plans de son père et les intrigues de cour. Elle dégage une autorité naturelle, un charisme qui impressionne autant qu'il fascine.

Autre chose que j'ai apprécié avec Ravenn, c'est le fait que ses préférences la portent vers les femmes. J'ai trouvé que les quelques passages où l'homosexualité féminine apparaît sont écrit tout en finesse et en sensibilité, donnant une toute autre image que celle qui est malheureusement véhiculée par l'opinion publique. En 2016, je suis tombée sur plusieurs romans où l'homosexualité était traitée avec cette même sensibilité, et j'ai trouvé ça super. Il est plus que temps que la vision qu'en ont la plupart des gens change. J'ai lu il n'y a pas très longtemps le commentaire d'une personne qui disait qu'ils étaient "des monstres". Je trouve cette déclaration révoltante. Quoi qu'il en soit, j'aime cette mixité de plus en plus présente dans la littérature. Et par-dessus tout, j'aime les auteurs qui véhiculent plus que du simple divertissement.

Il l'invita à s'asseoir dans un fauteuil et prit place en face d'elle. Ravenn resta droite, le dos raidi par l'appréhension, incapable de s'abandonner au moelleux du dossier malgré la fatigue du voyage. La reine, sa mère, était mourante. Même si elle savait depuis neuf ans que cette nouvelle pouvait lui parvenir à tout moment, elle n'en restait pas moins soudaine. Dans quelques lunes, Ravenn deviendrait l'héritière légitime du trône d'Ombre. Les mots résonnèrent dans sa tête, implacables, extirpant de sa mémoire le visage sans âge d'un prêtre sans clergé : "Ce n'est pas à moi que tu fais cette promesse, jeune fille, c'est au dieu Gris. Et d'une telle promesse tu ne peux te défaire." Malgré sa fougue adolescente, Ravenn avait pesé chaque mot de sa réponse, scellant son destin : "Je te le promets à toi, à lui, à moi-même. C'est mon trône. C'est ma terre. Je reviendrai." Alors l'homme avait posé une main sur l'épaule de la princesse, et son empreinte couleur de cendre s'était inscrite sur la peau tendre, indélébile, à l'image du serment qu'elle venait de prononcer.

L'héritage des rois-passeurs, de Manon Fargetton

Photo prise pour le #neverlandpbc de janvier 2017 sur Instagram... Le thème était "Ma PAL de décembre 2016".

Photo prise pour le #neverlandpbc de janvier 2017 sur Instagram... Le thème était "Ma PAL de décembre 2016".

En résumé...

Comment résumer un tel roman en quelques phrases? Il y a tant de points positifs que je ne sais par où commencer... J'aurais aimé vous en dire plus, vous parler des Dieux qui vont et viennent comme n'importe quel mortel, de la magie et des magiciens qui la pratiquent (encore un autre chouette concept, totalement novateur, et assez lié au nom de l'univers, "Ombre"...), des dragons et des vouivres, du royaume d'Ombre qui est en faite la face cachée de la Bretagne telle que nous la connaissons, de la façon dont le royaume est géré, de la guerre, de... Trop de sujets captivants, et tous susceptibles de vous spoiler l'intrigue, et donc de vous priver du plaisir de la découverte. Damn!

De cette lecture, je retiendrai donc surtout l'écriture fabuleuse de Manon Fargetton, alternant fluidité, rythme et poésie. Je retiens également les personnages, travaillés tout en finesse, et dont la psychologie complexe laisse pantois. L'intrigue remarquablement ficelée, ainsi que deux univers imbriqués l'un dans l'autre d'une façon remarquablement inventive et ingénieuse, constituent un troisième point qui me fait dire que ce roman vaut amplement son prix Imaginales 2016, et tous les éloges que j'ai entendu à son sujet jusqu'à présent.

Pour bien résumer la situation : lisez-le! C'est un de mes grands coup de coeur 2016...

Ma note : 19/20. C'est un coup de coeur!!

L'héritage des rois-passeurs est en bonne place dans la liste de mes coups de coeur de 2016! Photo prise pour le #neverlandpbc de janvier 2017 sur Instagram...

L'héritage des rois-passeurs est en bonne place dans la liste de mes coups de coeur de 2016! Photo prise pour le #neverlandpbc de janvier 2017 sur Instagram...

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Prochainement sur le blog :

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